Le chocolat par David Bozec, consultant culinaire et auteur de plusieurs livres de cuisine
1/David, vous êtes consultant culinaire et formateur. Pouvez- vous vous présenter brièvement, votre parcours ?
Originaire du Cantal. L’amour de la cuisine, du bien-être, le respect du produit, sa naturalité, voici l’héritage que j’ai reçu de mes parents (mon papa étant boucher) : littéralement élevé aux odeurs de la cuisine, de la pâtisserie, de la campagne.
Comme chez beaucoup de mes confrères, ma passion, mon goût pour la cuisine se sont manifestés dès mon plus jeune âge. Tout naturellement, je me suis dirigé vers des formations de cuisine, de pâtisserie, tout en faisant mes armes dans divers établissements.
2/Vous êtes un passionné de la cuisine africaine. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi cette attirance pour ce continent et pour sa cuisine ?
Je suis passionné par les voyages, par les cultures, par les terroirs du monde. Je vis à chaque fois de belles rencontres, de grands moments avec des cultures extrêmement riches. C’est avant tout, une histoire d’un gamin originaire d’auvergne qui célèbre au fil des saisons, le meilleur des produits en les associant à mon carnet de voyage et notamment celui de l’Afrique.
De mes parfums de voyage, est née une passion pour les poivres, vert, rouge, noir, gris. Le poivre sublime les mets les plus délicats dans bien des pays, mon objectif est de continuer d’unir les liens étroits que nous entretenons avec le continent Africain.
3/Notre article a pour but d’embarquer les lecteurs dans un fabuleux voyage sur les traces du cacao. Etes-vous un « fana » de chocolat et quel est votre dessert chocolaté préféré ?
Le chocolat est une histoire d’enfance. Un intérêt fort, une curiosité, une passion. La rencontre avec un produit noble, le désir d’en apprendre le goût, afin de mieux le travailler. Le chocolat est dans mes gênes, baigné par les odeurs. Le chocolat tient une part prépondérante dans le cœur de nombreuses personnes à travers le monde. Mon dessert préféré est une mousse au chocolat qui repose sur une crème anglaise au beurre salé, elle doit être onctueuse et soyeuse.
Il faut dire que le chocolat éveille tous nos sens, son apparence, sa consistance, son parfum doivent donner l’envie à la dégustation. J’accorde une importance particulière à la finesse de la texture des ganaches mais je ne perds jamais l’essentiel….le goût.
4/D’après vous, y a-t-il des cacaos ou des types de chocolats plus adaptés que d’autres à certaines recettes ? Pouvez-vous nous citer des exemples ?
Pour les amateurs de cacao, bien sûr qu’il existe plusieurs types de cacaoyers. Dans la classification traditionnelle il existe trois grandes catégories de cacaoyers parmi les cultures mondiales : le Criollo, le Trinitario, et le Forastero. Chacune d’entre elles a ses particularités et offre des saveurs différentes en fonction de son origine : Afrique, Brésil, Équateur, Mexique, Venezuela etc. Cela afin d’obtenir pour des préparations, des goûts doux, acides, amers ou des notes fruitées.
Pour information, il existe un vocabulaire spécifique utilisé par les professionnels du chocolat avec des descriptifs : fumés, boisés, astringents, alcoolisés, fruités en fonction des terroirs, et des grands crus.
Pour répondre à votre question. Un chocolat de couverture est à privilégier plutôt qu’un chocolat à pâtisser. Il est en effet plus riche en beurre de cacao (plus de 31%) et garantit la fluidité, l'onctuosité, le cassant recherché, ainsi que le brillant du moulage. Si vous n’avez pas de chocolat de couverture, vous pouvez le remplacer par des tablettes haut de gamme. Evitez celles dédiées aux desserts car elles sont épaisses et peu appropriées pour les préparations chocolatées de Pâques.
5/Comme pour le vin, il existe une méthode pour déguster le chocolat. Pouvez-vous nous en parler ? Couleur, brillance, parfum, arômes, consistance en bouche, ordre de dégustation…
A l’instar du vin, la dégustation d’un grand chocolat sollicite les 5 sens.
Voici les étapes à suivre pour en apprécier toute la richesse :
1-La couleur: Commencez par observer sa brillance ou son aspect satiné, sa couleur plus ou moins homogène et la régularité de sa forme.
2-Le craquant : Ecoutez le craquant du chocolat lorsque l’on le rompt, il peut varier selon les types de chocolats.
3-Les arômes : Sentez tous les arômes : épicés, floraux, fruités qui émanent de votre carré de chocolat.
4-La texture : Au contact de votre bouche, éprouvez toute la richesse de la texture du chocolat, s’il est épais, fin, parfaitement lisse, irrégulier, chaque détail compte lors de la dégustation.
5-Le goût : Dégustez votre morceau de chocolat en le laissant fondre quelques secondes entre votre palais et votre langue pour qu’il dévoile ses notes les plus subtiles contenues dans le beurre de cacao.
6/Quand on pense chocolat on l’associe souvent à des vins justement. La cité du chocolat de Valrhona à Tain l’Hermitage, grand terroir viticole, propose d’ailleurs des ateliers accords vins et chocolats. Alors quels vins avec quels chocolats ?
Les fèves de cacao sont les graines dans le fruit du cacaoyer : la cabosse. On compare souvent le cacao aux cépages de vins : le type de cacaoyer, les conditions de culture et la recette de torréfaction permettent d’obtenir des chocolats aux saveurs bien différentes. De même que pour le vin, la récolte de cacao d’une même plantation pourra donner des chocolats différents d’une année sur l’autre.
L’accord vins et chocolats peut-être remarquable. La notion terroir existe aussi bien pour le cacao que pour les vins. Le chocolat, le vin sont indissociables du mot « plaisir ». Sa dégustation peut être intéressante et d’une incroyable richesse.
En France, il existe des vins doux naturels se rapprochant du Porto, le Maury issu du cépage grenache accompagne à merveille un cake fondant au chocolat 70% de cacao type Guanaja, le Banyuls de la vallée du Rhône méridionale se marie avec un chocolat noir et intense 72% de cacao type Araguani, le Château Montus un madiran « Sud-Ouest » se mariera à merveille avec un moelleux chocolat riche en cacao 85% type Abinao.
7/A ce propos, avec quels autres aliments peut-on marier le chocolat ?
Les aliments qui se mélangent à merveille avec le chocolat sont le végétal (le basilic, la menthe, l’oxalis, le bourgeon de peuplier, le sapin), les épices (le poivre de Tasmanie, le sel de Maldon, le wasabi, le gingembre, le curry), les fruits à coques (la noix, l’amande, la noisette, la pistache) les polygonacées (le sésame, le Sarrasin), les fruits rouges (les framboises, myrtilles), les fruits exotiques (les fruits de pains, la mangue et le pain de singe).
On peut lire des recettes de chocolat avec des crevettes, de la betterave ou encore de la courgette, surprenant ?
Avec la démocratisation des émissions de cuisine, pâtisserie à la télévision, on voit naître des recettes de plus en plus insolites : vegan, sans gluten, sans lactose...
Je pense que la courgette est fade. Elle n’apporte aucun goût et aucune valeur ajoutée au chocolat. Pour travailler les légumes, il faut respecter les saisons, ne pas les surcuire, jouer la simplicité pour garder le goût et l’accompagner de condiments pour apporter du peps.
8/Toutes les fèves ne sont pas égales. Il existe 4 variétés de cacaoyers qui possèdent chacune des saveurs différentes. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Aujourd’hui cette distinction en 4 variétés (3+1) n’est plus considérée comme étant suffisante. En effet, au fil du temps et depuis l’antiquité, les populations ont bougé et les différentes souches de cacaoyer ont fait de même. Ce brassage a déclenché de nombreuses hybridations, résultat de croisements naturels entre les arbres.
Aujourd’hui il n’est pas rare de découvrir dans une même cacaoyère différentes variétés ou types de variétés. Cela peut même se retrouver au sein d’un même fruit (cabosses contenant différents types de graines).
Par exemple, les chercheurs ont constaté que la couleur des fèves est un des indicateurs de la génétique du cacao, et que dans une même cabosse on pouvait trouver des graines différentes, ayant chacune les caractéristiques des trois grandes variétés de base du cacao. Ainsi, de nos jours la classification génétique est plus détaillée et elle répertorie plus d’une dizaine de variétés de cacaoyers.
9/ Pouvez-vous nous expliquer ce qu’il se passe de la fève à la tablette ? Fermentation, torréfaction et conchage.
Pour obtenir les meilleurs chocolats il faut sélectionner des artisans de qualité.
Pour la petite histoire, le travail à la plantation est un travail d’orfèvre et la cueillette a lieu 2 fois par an.
Les différentes étapes pour transformer les fèves de cacao en chocolat sont les suivantes :
L'écabossage et la fermentation : Elle a lieu chez le planteur et a pour but de débarrasser les fèves de leur mucilage (pulpe blanche et sucrée qui entoure les fèves).
Le séchage : Au soleil pour du conditionnement dans des sacs de 70Kg pour le transport.
Le concassage : La casse du cacao permet de se débarrasser de la peau des fèves de cacao et de concasser grossièrement les fèves. Les fèves passent sur des tamis de plus en plus gros et les peaux sont aspirées.
La torréfaction : Elle a pour objectif de mettre en valeur les arômes des fèves de cacao grâce au chauffage des fèves (par conduction et par convection). La chaleur débarrasse les fèves de leur humidité ainsi que de leur acidité et leur permet de développer leur amertume. La torréfaction révèle le fumé, la douceur, l’amertume des fèves. Réalisée à 120°C pendant 30 minutes, la torréfaction permet une perte de 7% d’humidité.
La presse/le broyage : Le broyage permet de diminuer la granulométrie du chocolat. On obtient Le grué qui est l'éclat de fève de cacao torréfié puis concassé. La friction provoque de la chaleur qui fait passer le grué de l’état solide à l’état liquide. C’est de la pâte de cacao granuleuse et acide à cette étape.
Le conchage : Il s'agit d'un procédé d'affinage du chocolat par brassage à une température qui varie de 49 °C pour le chocolat au lait et jusqu'à 85 °C pour la deuxième phase (phase de plastification) du chocolat blanc, ce qui permet un caractère caramélisé.
Ensuite viennent le tempérage et le moulage sous diverses formes, les bonbons, les tablettes, le praliné.
10/Quelles différences de couleurs gustatives y a-t-il selon vous entre les différentes destinations et/ou continents ? Est-ce que cela vient du terroir, de la façon de transformer le produit, des différences de techniques de séchage ?
L'arôme, le bouquet chocolat tient compte des caractéristiques gustatives des différentes variétés de fèves de cacao, lors de leur séchage naturel, lors de leurs traitements ainsi que du mélange de différentes variétés. Il est important de se rappeler que cela fonctionne en trio : variété/terroir/arôme.
Le choix de la variété est bien sûr une des raisons. Quant aux terroirs, même s’ils ne peuvent être assimilés aux terroirs viticoles, ils ne sont pas étrangers à la qualité, à la couleur, en fonction de leur provenance, et de leurs techniques de séchage naturel.
11/ Petit zoom sur votre destination préférée. Quelles sont les qualités du chocolat africain que vous mettriez en avant ?
Avec 75% de l’exportation mondiale, le continent Africain est le principal exportateur de cacao. Je mettrais en avant les fèves biologiques de producteurs Africains qui sont issues du territoire du Ghana, de la Guinée, de la Côte d’Ivoire, du Cameroun qui sont idéales pour des produits chocolatiers haut de gamme.
Je préconiserais le chocolat pur fabriqué avec des fèves légèrement grillées par le soleil, souvent chargées d’épices douces, suaves mais avec du caractère qui me rappellent le continent avec ses trésors culinaires, culturels et artistiques. C'est la garantie de savourer des chocolats 100% artisanaux, fins, subtils et séquencés.
12/ En cette période compliquée où les gens ne peuvent pas voyager, pensez-vous que le chocolat soit une invitation au voyage et pourquoi ?
En effet, le chocolat est une invitation au voyage, on a plaisir à voyager, on a plaisir à déguster un bon chocolat, comme on a plaisir à le travailler et à faire du bon travail pour faire plaisir ! C’est ce qui m’anime !!! Quand on aime on ne compte pas.
Ma passion pour la gastronomie m’a amené à voyager, à participer à des expériences, à m’intéresser aux divers chocolats issus de divers terroirs pour dénicher de grands crus comme les fèves de cacao de l’Afrique de l’Ouest. Découvrir les cacaoyers de différents pays, telle est ma passion. Ces longs voyages furent de grands moments de partages, de rencontres, de plaisirs, d’histoires insolites qui se traduisent par le désir de découvrir les beautés de ces paysages qui nous font voyager et qui nous font oublier les préjugés que nous pouvons avoir sur le chocolat pour en ressortir avec un regard nouveau.
Déguster du chocolat c’est faire preuve d’audace et se laisser transporter dans un périple gustatif aux saveurs multiples et partir à la découverte du monde !
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